L'EMPREINTE FRANÇAISE

Quatrième de couverture.

Sous le prétexte du roman, l'auteur a éprouvé le besoin de revenir aux sources de son adolescence, de la raconter telle qu'il l'avait vécue. Descendant d'un grand père chinois, Jean François Samlong est un enfant métis élevé par sa grand mère, une sang mêlé qui lui a transmis l'amour de la culture réunionnaise, tandis que l'école lui transmettait l'amour de la culture française. Cette double appartenance culturelle est au coeur de ce roman. Au coeur d'une île de l'océan Indien où l'expérience du métissage, de la machine à métisser, est quotidienne et a valeur d'identité, cimentée autant par l'empreinte historique française que par l'usage revendiqué du créole.

Ce roman d'initiation, qui fait la part belle à la découverte de l'amour et aux jeux de l'érotisme, raconte aussi le quotidien du petit peuple de La Réunion. Relations avec les esprits, croyances populaires, rites immuables des lavandières transmis par l'infatigable grand mère qui avait sa roche à laver (et à rêver) au bord de la rivière.

L'écrivain se souvient aussi avec nostalgie de son grand père auquel il s'est opposé au moment de la guerre du Vietnam, chacun défendant son camp. Ce qu'il regrette évidemment aujourd'hui.

La jeunesse de Jean François Samlong fut bercée par de douces et fortes présences féminines qui lui donnèrent le goût de continuer à vivre et d'entreprendre, et son rapport aux femmes a toujours été placé sous le désir de signer une trêve, de rétablir la paix, enfin. Un roman très réussi qui, par son style éblouissant et évocateur, est à mettre entre toutes les mains.

Collection Fiction française

(Éditions Le Serpent à Plumes, dans la collection "fiction française", Paris, février 2005)

ÉCRIRE UNE ÎLE OU L’ÉCRITURE DE LA DIFFÉRENCE

bullet Que dire d’une littérature qui n’a pas dit encore le millième de ce qu’elle a à dire ? L’histoire remonte à Parny, Leconte de Lisle, Marius-Ary Leblond, puis elle passe par Axel Gauvin, Jean Lods, Monique Agénor, autant de voix pour redonner ses lettres de noblesse à la littérature réunionnaise. Avec cette vitalité qui caractérise toute jeune littérature, nous voulons écrire notre différence dans une démarche créatrice, novatrice, qui n’oppose ni les langues ni les cultures, et qui ne réveille pas non plus la guerre des identités.
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L’école à la française : langue, littérature, culture. Un héritage considérable, qui n’a pas de prix. Il n’empêche que si je m’arrête à ce que l’école m’a appris, je ne pourrai pas aller très loin dans mon cheminement d’homme, d’écrivain, de citoyen. Ce que l’école ne m’a pas appris, c’est l’île qui me l’a donné : une langue maternelle et une culture plurielle.

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Une langue créole qui a ses propres richesses langagières.

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Une culture métisse riche des cultures des quatre continents de par le peuplement de l’île dès l’aube de la colonisation : l’Europe, l’Afrique, l’Inde, l’Asie, sans compter l’apport de Madagascar et d’autres pays.

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Mes romans sont nourris de toutes ces cultures.

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Toutes ces cultures qui se croisent dans mes romans sont autant de richesses, me semble-t-il, pour la littérature française par le jeu du droit à la différence. Dans le concert de la Francophonie, c’est cette voix que j’aimerais faire entendre. La voix de l’autre. Le respect de l’autre, des identités. Ces données m’obsèdent tellement qu’elles reviennent d’un roman à l’autre, sans doute parce que je n’ai pas encore tout dit sur la période esclavage/marronnage qui a marqué à jamais l’histoire de La Réunion par son extrême violence.

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Les personnages, les éléments, les actions, les réflexions que je choisis pour mes romans doivent dire une seule et même chose : ma langue maternelle (le créole) et ma culture sont ma chair vive, et c’est dans cette chair vive que la culture française laisse sa précieuse empreinte. Si l’on ne respecte pas ce qui constitue mon identité propre, cette empreinte est des plus superficielles et finalement n’intéresse personne. Pire, cette empreinte factice peut être la source de conflits identitaires, de guerres des langues et des cultures.

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Depuis les années 80, la France accueille favorablement l’idée que sa propre culture puisse être enrichie de cultures venues d’ailleurs, à l’échelle de la Francophonie, et dès cet instant elle n’a jamais été aussi forte de l’Afrique au Canada en passant par les Caraïbes, l’océan Indien... Mon île est le monde et je n’ai de cesse de l’écrire sous l’empreinte française.

 

 

L’Empreinte française

Les bonnes pages à lire…

 

Le feu s’est éteint, la maison ne brûlera plus ni le jour ni la nuit. Il fait froid, soudain. C’est la deuxième femme qui me quitte, emmenant la voiture, l’enfant, un rêve de bonheur partagé pendant plus de quinze ans, et j’entends encore les voix, les rires, les silences comme si les murs refusaient la séparation, la solitude, et ce silence inconnu, pesant, qui m’empêche de respirer, m’avait déjà envahi à la mort de ma grand-mère. J’avais vingt-trois ans à l’époque, lorsque le ciel déposa un orage sur mes épaules. Le ciel change vite de couleurs sous les tropiques. Le destin des hommes aussi. Tout bascule, on plonge dans le fénoir tête la première ; tout se bouscule, et il ne vous reste plus qu’à aller chercher vos rêves dans la tombe. Morte, ma grand-mère ! Effroi et tremblements. De la pluie au fond des yeux, car je n’avais pas été là au moment du passage. De retour à la case, en fin d’après-midi, je garai ma vieille Renault sur le bas-côté de la route et je pris l’allée, me laissant guider par la prière des femmes. Je pénétrai dans la chambre où le corps avait été installé entre la flamme de deux bougies, et je posai mes lèvres sur une peau flasque, humide, d’un gris cendré comme la lumière qui l’entourait. Je l’appelais Man Lalie. Me revinrent alors les belles aventures que j’avais vécues à ses cotés, rangées au fond de ma mémoire pour meubler les nuits d’insomnie, et j’aurais voulu qu’elle me prenne dans ses bras pour me bercer encore de cette vie qui avait couru dans ses veines. Traverser les champs, les rivières, d’autres espaces, d’autres paysages où apprendre à vivre avec elle.

La mort, l’absence. C’est fini, et bien fini. La maison est vide, et le cœur aussi. Je sors dans le jardin, et je me couche sur le gazon qui n’a pas connu la lame de la tondeuse depuis un mois ; en revanche, il a été bien arrosé par les dernières pluies d’été tropical. J’ai eu tort de ne pas tondre l’herbe, car j’ai l’impression d’être allongé sur un lit d’épines. Au vrai, c’est le sentiment d’abandon qui sème des épines sous mon corps. Je suis un champ d’épines. Au-dessus de moi, si proche, le ciel est si bleu, si calme. Je souris. Réminiscence d’un cours de français, en troisième. Je revois le visage du jeune professeur métropolitain, doux, rieur, qui m’avait fait entrer au cœur de la poésie. Avec lui, la classe tout entière devait connaître sur le bout des doigts la règle des trois V : Vigny, Verlaine, Valéry. Alors, quel poème as-tu appris ? Réponse : Le ciel est par-dessus le toit… Méfie-toi quand même du lyrisme romantique. Bon, récite-le moi ! Ses yeux fixaient les miens. Plus de trente ans après, sa voix résonne dans ma tête avec cet accent qui me disait qu’il venait d’un pays lointain. Loin des siens, il s’était amouraché de cette île du bout du monde. Ah, le détour vaut bien un cliché !

Aujourd’hui le soleil ne brille pas moins qu’hier, et des pigeons, des merles, des tourterelles, des moineaux sont perchés sur les fils électriques : qu’attendent-ils ? Ma respiration est de plus en plus difficile, je commence à comprendre ce qui se passe en moi. Les oiseaux n’attendent rien ; moi, j’attends qu’ils chantent comme ma grand-mère chantait autrefois pour endormir mes peurs. Ce qui m’ennuie c’est qu’il y a un air de famille entre eux – un faux air de rapace lorsqu’ils battent les ailes, étirent le cou pour épier mes moindres mouvements. À cinquante-deux ans, je suis là, étendu sur l’herbe, à espérer qu’un chant vienne adoucir ma peine. Redevient-on enfant au fil de l’âge ou ne sort-on jamais de l’enfance ? Je crois que, en dépit de l’expérience, et peut-être à cause des épreuves, on a un besoin de la voix de la mère, de l’oiseau, du vent (quand le vent n’est pas mauvais), de la cascade, de la mer. Toutes ces voix ne valent-elles pas une berceuse de Schumann ? J’ai un besoin de tout ce qui pourrait faire renaître en moi le souvenir du balancement d’un berceau. Berceau et tombeau : je ne connais pas de rime qui, quoique pauvre, donne autant de sueurs froides. Un raccourci si hardi donne le tournis. Ce n’est pas une raison pour baisser pavillon devant l’infortune : j’ai connu des bras de femme plus doux que des berceaux.

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