Rencontre

itinéraire, l’Udir, partage de cultures, réciprocité, débat sur les langues, choix ,un outil, projets

JEAN-FRANÇOIS SAMLONG, ÉCRIVAIN

“Nous avons un quotidien à partager et un avenir à réinventer

Propos recueillis par Sedley ASSONNE

Le politique ne doit pas se passer du culturel. Leurs idées peuvent même être complémentaires. Jean-François Samlong, que nous avons rencontré à la Réunion, lors du Printemps des Poètes, nous prouve que la culture, au même titre que l’économie, doit faire partie des préoccupations premières des politiciens.

Souhaitons qu’après lecture des propos de l’écrivain, on comprenne enfin, chez nous, que la culture n’est pas l’épouvantail qui ferait peur à l’Etat. Au contraire, les décideurs ont tout à gagner en encourageant l’avènement d’un imaginaire qui mettrait en exergue notre patrimoine commun.

 

 « Ce que nous voulons, c’est qu’il y ait dans nos îles de l’océan Indien, un peu plus de solidarité, un peu plus de fraternité entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, aussi bien sur le plan écono­mique que culturel.

 

J-F Samlong en bref

           Chargé de mission à la culture auprès du Conseil général de la Réunion, membre associé de l’Université de la Réunion,  militant de la Créolie, Jean-François Samlong est une grande figure de la littérature réunionnaise, india-océanique et francophone. Depuis “Valval” et «Le cri du lagon »,  ses deux premiers recueils de poèmes, son talent a été justement récompensé, en 1985, par le Prix des Mascareignes pour le roman «Madame Desbassayns”. Succéderont à cet ouvrage « Pour les bravos de l’empire », en 1987, «Zoura, femme Bon Dieu”, en 1988, «Le roman du marronnage», en 1989, « Anthologie du roman réunionnais, en 1991, « La nuit cyclone », chez Grasset,  en 1992 et « Le défi d’un volcan »,  édité chez Stock en 1993. Il occupe, depuis une vingtaine d’années, les fonctions de président de l’Union pour la défense de l’Identité Réunionnaise (Udir), une association d’écrivains qui fait également office d’éditeur. Il est aussi enseignant au collège des Deux Canons, à Sainte Clotilde.

Parlez-nous de votre itinéraire d’écrivain?

— J’ai commencé très tôt, dès l’âge de seize ans. J’étais encore collégien, lycéen, parce que tout simplement ça répondait à un besoin. J’avais des choses à dire, au niveau de l’île bien sûr. Et puis en ce qui me concerne également, en tant qu’individu. Et je crois que c’est ça qui fait naître un écrivain, justement parce qu’il y a cette perception personnelle, différente aussi de la réalité sociale, familiale, politique.

Il pense à ce moment-là pouvoir envoyer des messages à l’en­semble des personnes qui, peut-être, n’ont pas la chance de pouvoir s’exprimer à travers une langue, que ce soit la langue créole ou la langue française.

Très tôt l’écrivain a été doublé d’un militant culturel, jus­qu’à aller créer une association qui a pour but de faire connaître les écrivains. Et pas seulement les écrivains de la Réunion, mais aussi ceux des îles de l’océan Indien, tout simplement parce que nous pensons que des liens très forts existent aussi bien entre La Réunion et l’Île Maurice, que les Seychelles, Madagascar, les Comores et Mayotte. Nous avons un quotidien à partager et peut-être un avenir qui reste à réinventer dans le respect des cultures, le respect des choix politiques, et le respect des choix culturels également...

Je crois que ce qui relie les écrivains entre eux, c’est une vision des mondes fondée sur le partage, la tolérance bien sûr. Et puis il y a cette notion de diffé­rence qu’il faut accepter: accep­ter l’autre avec ce qu’il a de dif­férent. La différence doit être perçue comme une richesse que nous apporte l’autre et non comme quelque chose qui nous divise. Ça, c’est un message très fort qu’il faudra faire passer dans les années à venir.

 

Et c’est aussi dans ce même esprit que vous présidez aux destinées de l’Udir?

— Tout à fait. Tout simple­ment parce que nous avons pu mettre en place, depuis 20 ans, au sein de l’Union pour la dé­fense de l’identité réunionnaise (Udir) une équipe autour de mêmes idéaux : c’est-à-dire tolé­rance, différence et ouverture sur le monde. N’oublions pas que nous vivons tous dans un espace insulaire. Ce qui a ses avantages et en même temps ses inconvé­nients. Il faut que l’on puisse s’évader par l’imaginaire, par l’imagination, afin de rencontrer l’autre. L’autre richesse que nous trouvons aussi dans la région océan Indien, c’est le métissage. Cela fait que l’on accepte faci­lement l’autre, malgré ses diffé­rences. Nous sommes en quête de richesses humaines, au niveau du cœur et de l’esprit.

C’est à ce niveau qu’a lieu le partage. Quand je rencontre Ranöe, le Malgache, Samba l’Africain ou même vous, de l’île Maurice, d’emblée le contact se fait, sans que l’on ait à se poser des questions inutiles. Nous sommes des hommes et des femmes de cette région. Et puis, c’est tout. Il n’y a pas à se poser mille questions. On se sent bien ensemble, dans notre histoire, et on voudrait que ça continue.

Pour les générations à venir, pour que les jeunes partagent également nos idéaux et ne se referment pas sur eux-mêmes. Au contraire, il faut savoir dépas­ser toutes les difficultés que nous rencontrons dans nos îles sur le plan social et retrouver notre part d’humanité.

 

Comment expliquez-vous que dans la région indiaocéanique, entre l’île Maurice et la Réunion par exemple, il n’y a pas vraiment cet échange, ce partage de cultures, même si l’on se connaît à travers les livres?

— Je crois qu’il n’y a rien de dramatique à ce propos, si l’on examine l’histoire des cultures des autres pays. En fait, c’est cyclique. Nous avons eu dans le passé des moments très très forts de partage entre les îles sœurs, comme on a coutume d’appeler les îles de la Réunion et Maurice.

Et il y a eu aussi des périodes ­de creux de vague. Il me semble  ­également qu’aujourd’hui, on est prêt à repartir vers de nouveaux échanges entre les îles de l’océan ­Indien. Je crois qu’il y a un contexte, une ambiance, atmosphère, qui fait que l’on est derniers davantage prêt à se retrouver et à partager des idées.

Je ne me pose pas de problèmes à ce niveau. Je me dis: “aujourd’hui, on se rencontre. C’est l’essentiel”. Ce qu’il faut, par contre, c’est faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de coupures, par rapport aux générations à venir.

Il faut préparer le terrain, consolider, fortifier les échanges que l’on pourrait développer ­aujourd’hui et demain. Cela pourrait servir aux jeunes qui assureront bientôt la relève. Ça c’est notre responsabilité. A nous de mettre en place les balises, les points de repère, pour que les jeunes de demain se sentent moins perdus.

 

M On dit toujours que la culture est le parent pauvre des discussions de haut niveau entre îles de l’océan Indien. Et l’on apprend ces jours-ci que la Commission de l’océan Indien inclurait un vole culturel à son agenda. Qu’en pensez-vous?

Eh bien moi, j’approuve totalement! Et j’applaudis à ces  nouvelles perspectives. En ce qui concerne la Commission de l’océan Indien (COI), c’est vrai que ces hautes personnalités parlaient toujours d’économie, de politique, de géopolitique.

On s’attendait toujours à ce qu’il y ait dans leurs discours quelques traces de la vie culturelle dans ces îles. Mais peut-être a-t-il aussi fallu à ces hommes politiques le temps de mener un réflexion, et peut-être aussi le temps de régler leurs problèmes économiques, politiques et géo-politiques, avant d’arriver aujourd’hui à des aspects purement culturels.

 

Ils ont compris qu’en fait la culture fait partie intégrante de la vie sociale et politique. Certes il est vrai que l’intellectuel, l’écri­vain, a toujours posé un pro­blème aux hommes politiques qui ont voulu être rassurés quant aux idées que nous développons par rapport à l’avenir de nos pays. Mais je crois qu’ils ont très bien compris qu’il fallait laisser aux intellectuels le soin de réfléchir, de penser, de partager, et que nous ne voulons pas révolutionner le monde.

Ce que nous voulons, c’est qu’il y ait dans nos îles de l’océan Indien un peu plus de solidarité et de fraternité entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, tant sur le plan économique que culturel. Il est aussi vrai que ce que nous pouvons apporter aux hommes politiques, c’est une richesse au niveau du cœur, de l’âme. Et ces derniers en ont besoin. De la même façon que nous, nous avons besoin d’eux, de cette volonté politique qui consiste à développer la culture d’un pays et ensuite d’assurer les échanges culturels entre les différents pays. Je crois qu’il faut parler en terme de complémentarité entre la politique et le culturel. Il n’y a pas toujours de conflit, il faut qu’il y ait discussion et débats pour dépasser le conflit. Et même s’il y a conflit, il faut qu’il y ait discussion et débats, pour dépasser le conflit et trouver un terrain d’entente. Si, d’un côté comme de l’autre, on fait montre de bonne volonté, on ne ferme jamais les portes, on est prêt à écouter…

 

S’il y a réciprocité?

— S’il y a réciprocité déjà au niveau du respect de l’individu. Moi je respecte l’homme politique dans sa dimension, dans les tâches qu’il a à assumer et qui ne sont pas faciles au quotidien, eu égard aux problèmes sociaux qui existent. Que les politiques sachent également que les idées que nous remuons, nous, en tant que culturels, intellectuels, écri­vains, eh bien, parfois ça nous empêche de bien dormir et d’avoir la conscience tranquille. A ce moment-là, il faut pouvoir travailler main dans la main et non pas se rejeter l’un et l’autre ou dire “attention”...

 

Se regarder en chiens de faïence?

— Se regarder en chiens de faïence. Moi, je préfère que l’on se regarde en tant qu’hommes, qui souhaitent développer les îles de l’océan Indien dans le sens d’une plus grande solidarité.

C’est le message que nous essayons de faire passer aujour­d’hui. En tenant compte de notre métissage, de notre histoire commune, et d’un avenir com­mun que l’on pourrait réinven­ter en quelque sorte.

 

•  M. Samlong vous savez, qu’à Maurice, il y a toujours un débat sur les langues. Ecrivez-vous en créole?

— Bien sûr.

 

Et en français aussi?

— Bien sûr.

 

Comment s’est passé le choix, cette étape de réflexion quant au choix des langues, lorsque vous vous êtes mis à l’écriture?

— Le choix des langues? J’écris en créole, en français et je traduis les textes écrits en langue créole en langue française, pour des versions bilingues. Je traduis notamment les légendes chi­noises publiées par Daniel Honoré et je viens de traduire l’un des romans qu’il a écrit en français.

Moi, je crois qu’il n’y a pas de problème de langue. En tout cas, pas au niveau de l’écrivain. En fait, quelle est la raison d’être, quel est le rôle, de l’écrivain? Quelle est donc sa quête? C’est l’ex­pression. L’expression de soi, d’un monde intérieur et de sa vision des réalités.

Qu’il exprime cette vision en langue créole ou en langue fran­çaise, cela n’a pas d’importance. Ce que l’écrivain ne doit pas perdre de vue, c’est la beauté de la langue dans laquelle il a choisi d’écrire. Maintenant moi je comprends...

 

•  La langue n’est donc qu’un outil?

— La langue n’est qu’un outil de communication. Ce n’est aussi qu’un passage vers une plus grande esthétique. A partir de là, si l’écrivain sent que la langue créole lui permet d’atteindre plus facilement cette esthétique du Beau, de la belle écriture, et d’at­teindre ce qu’on appelle vérita­blement la littérature, eh bien qu’il choisisse la langue créole!

Il est vrai que moi j’ai choisi la langue française, parce qu’il y a quand même un lectorat beau­coup plus large. Ça, c’est une réalité incontournable. La seconde raison est que, si l’on veut être édité, que ce soit dans la région océan Indien ou à Paris, eh bien, c’est la langue française qui nous ouvre les portes de 250 millions de lecteurs potentiels.

Cela n’est pas une chose négligeable. Moi j’accepte la francophonie dans toutes ses dimensions, dans toutes ses richesses. De la même façon que la créolité est également pour moi une source de richesse, notamment au niveau des images, qui sont très belles, et des métaphores poétiques. A partir de là, je ressens une émo­tion très très forte en écrivant aussi bien en langue créole qu’en langue française.

Je crois que dans la mesure où cette émotion existe, et qu’il y a cette quête d’une maîtrise de la langue dans ce qu’elle peut donner au niveau du sens et de l’essence même de l’individu, il n’y a pas de problème. Je crois que le faux débat langue créole/langue française ne doit pas se poser au niveau de l’écri­vain.

 

•  Parlez-nous de votre travail de traducteur. Est-il facile de passer du créole au français? Et quid de vos projets littéraires?

La traduction, c’est une passion. En ce moment, je ter­mine la traduction des légendes chinoises écrites en créole par Daniel Honoré. Parallèlement, je termine un roman...

 

•  ...Qui s’intitulera?

— Dans l’immédiat, il y a plusieurs titres possibles. Bon c’est Danse sur un volcan. J’ai voulu mettre en parallèle la violence des éruptions volcaniques dans cette île et en même temps la violence qui traverse le Réunionnais et qui nous inter­pelle, nous écrivains, chaque jour. C’est vrai que La Réunion, c’est une île quasiment paradi­siaque, comme l’île Maurice. Mais en même temps, de façon contradictoire, il y a cette beauté avec une violence inouïe, inté­rieurement...

 

• Avec, aussi, un foyer de différences?

— Oui. Et un bouillonne­ment intérieur qui rejoint la métaphore volcanique. Je crois que là, au niveau du discours romanesque, il y a des questions à se poser. Je me dis : n’y a-t-il pas un lien très étroit entre l’es­pace dans lequel on vit et l’indi­vidu, qui subit, si vous voulez, les influences de cet espace-là? Je n’ai pas de réponse.

C’est une interrogation. Je constate la chose sur le plan social et politique. Le paradis oui, mais traversé par de grands cyclones de temps en temps, qui font que l’individu bascule dans une violence extrême.

 

M Et le roman sera publié à Paris?

— Ecoutez, il faut d’abord le terminer. Et puis après je vais le proposer à mon éditeur. C’est la marche à suivre. Voilà!

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